Chapitre 3 : Nouveaux paramètres

C'est au doux bruit de sirènes des véhicules prioritaires que le jeune garçon se réveilla. Comme vous pouvez vous en douter, on a déjà connu bien meilleur bruit pour se réveiller en douceur, aussi Jean fut-il - comme tous les internes – de très mauvaise humeur ce matin-là.

En descendant vers le réfectoire, fonctionnant au radar comme tous ceux qui descendaient aussi de l'internat, Jean eut l'impression très franche de se retrouver plongé dans Resident Evil, au milieu d'une bande de zombies pas très frais. Toujours est-il que l'un des zombies réussit soudain à parler.

" Hé ! Z'avez vu ? Il est 5 heures du mat' ! "

Immédiatement après cette remarque fort judicieuse, la joyeuse troupe des zombies s'arrêta pour jeter un coup d'œil dehors. Effectivement, il faisait encore bien noir. Mais alors, qu'en était-il de ce réveil en fanfare ?

Jean, visiblement légèrement mieux réveillé que les autres, sûrement du fait qu'il ne s'était pas vraiment bien endormi de la nuit, se dirigea de vive allure vers le bureau du proviseur. Vide. La Vie Scolaire également. Même la permanence était déserte. Elle commençait à se mâtiner d'un soupçon de 28 jours plus tard, cette comédie !

Et puis une vive douleur lui vrilla le cerveau. Visiblement, quelqu'un essayait de prendre contact avec lui par l'intermédiaire du Pouvoir, et quelqu'un qui n'y allait sûrement pas de main morte…Un peu du style d'un type qui crierait juste devant le micro de son portable, bien en dessous d'une antenne émettrice…Et ce quelqu'un, c'était Chris. Pas de réelle surprise, donc. Juste un peu d'inquiétude supplémentaire, car Chris avait bien dit qu'il n'utiliserait cette communication qu'en cas d'urgence.

" Jean…Tu es enfin réveillé !
- Qu'est-ce qu'il se passe, Chris ? Ils viennent d'où, tous ces pompiers et ces flics ? Qu'est-ce qu'ils viennent faire à Saint-André ?
- Calmes-toi. Ils viennent sur les lieux d'un crime.
- D'un crime…Comme ceux que tu redoutais ?
- Oui. Je suis là-bas, au bâtiment A, premier étage… "

En entendant cela, Jean s'assit, dos au mur, dans un couloir. Il était horrifié. Bâtiment A, premier étage. C'était là où il avait passé son heure de colle la veille ! C'était là où il avait lancé un coup de sonde, pour avoir une nette réponse : pas un chat dans le couloir ! Bien entendu qu'il n'y avait pas un être vivant, dedans, le seul qui y était devait être mort à ce moment-là…

Peut-être même avait-il failli croiser la route du tueur ! A cette pensée, Jean frissonna, et se mit à sangloter.

Il se disait qu'il n'en avait pas assez fait pour empêcher cela. Il se disait que c'était de sa faute, si une victime venait de mourir ce soir-là. Il se disait qu'il n'était qu'un bon à rien, et qu'il irait voir Chris pour tout lui expliquer.

Et puis, une dizaine de minutes passèrent, et Jean reprit le dessus. Son optimisme le poussait à oublier cet échec, et à se consacrer à ce qui allait être. Certes, quelqu'un venait de mourir, et peut-être était-ce un peu de sa faute. Mais il ne se laisserait pas abattre, il continuerait, et il trouverait celui qui avait commis cet acte.
Plein de ces saines résolutions, il se dit qu'il fallait mettre Chris au courant, ne serait-ce que par honnêteté. Il projeta donc son esprit, et ce fut aisé car il avait une bonne localisation de son mentor.

" Chris…Il faut que je te dise quelque chose. Hier soir, j'étais collé par Charcot.
- Ecoutes, Jean, je ne t'en veux pas, et ce n'est pas le moment de te servir de moi comme conseiller d'orientation…
- Ecoutes-moi ! J'étais en A 12. Et quand je suis sorti, vers 6 heures, j'ai entendu du bruit dans un couloir. Celui des salles A de 15 à 19. J'ai lancé un coup de sonde, personne…Mais…
- …Je vois. "

Un long silence s'ensuivit. Et puis Chris le rompit, en reprenant le lien télépathique. L'intonation qu'il employa semblait assez lasse à Jean, comme s'il était empli d'un vide que rien ne comblerait.

" …Devant la salle A 16. Bien vu, Jean. Reste à m'expliquer ta vision des faits…Parce que tu te poses en coupable désigné, là.
- Heu…Ecoutes, Chris, je suis juste passé devant ce couloir sombre, j'ai jeté un coup de sonde, il n'y avait rien, je suis reparti, je n'ai rien fait, je peux te le jurer sur ce que tu veux ! Tu ne vas pas m'accuser quand même !
- Non. Pendant que ton esprit s'embrouillait à me crier dans les oreilles la vérité, j'ai pu lire dans tes souvenirs, et je te crois. Reste à coincer le monstre qui a fait ça.
- C'est son premier meurtre, non ? Il doit encore être inexpérimenté…
- Là…A ta place, j'en serais moins sûr, mon grand. "

Chris avait parlé d'un ton sinistre, et encore plus las que précédemment. Soudain, une image assaillit l'esprit de Jean. Il se ferma tout d'abord, puis il comprit que cela venait de Chris. C'était ce que voyait le surveillant à ce moment-là. Il se laissa donc faire, et regarda à son tour.

Et il vit une vraie boucherie. Du sang partout, des bouts d'entrailles qui traînaient aux quatre coins du couloir. Un symbole ressemblant très fortement à un pentacle tracé avec du sang, probablement celui de la victime, trônait en plein milieu du passage. Et surtout, trois des cinq pointes du pentacle étaient entourées. Jean comprit ce que Chris lui avait dit : ça n'était pas un coup d'essai…C'était le troisième meurtre. Ils avaient affaire à quelqu'un qui s'était déjà essayé à ça, et avec brio, puisqu'il courait encore.

La vision s'arrêta net, et le contact télépathique reprit entre le surveillant et le jeune garçon. Mais Jean était déjà perdu.

" Voilà, je ne voulais pas te choquer…Je t'ai évité le visage de la pauvre jeune fille, c'était assez horrible. Il semble que ce déglingué en soit à son troisième meurtre, ou au deuxième, s'il entoure les pointes des victimes à tuer. Ce qui est sûr, c'est qu'il n'a pas commencé hier soir. Et qu'il veut tuer par cinq fois, donc on n'aura que deux ou trois possibilités de l'avoir…C'est franchement mince comme chances de réussite. Il semble maîtriser le Pouvoir, pour que tu ne l'aies pas remarqué. En gros, on a un type qui est un utilisateur de notre seul atout, et pas un débutant, qui a un but très précis, tuer cinq personnes, peut-être bien des cibles précises, et dont on ne sait rien. Mon pauvre Jean, il va falloir mettre les bouchées doubles, si on veut l'avoir ! "

Après ce long monologue, Chris rompit le contact assez vite. Il devait avoir été hélé, et personne n'arrivait à maintenir une conversation avec le Pouvoir tout en répondant verbalement.

Jean reprit donc le chemin du bâtiment de l'internat, mais il était encore sous le choc. Quand il y arriva, certains commençaient à chahuter, mais quand ils virent que Jean, le boute-en-train bien connu, tirait une tête de déterré, ils se doutèrent que quelque chose de grave s'était produit.

Il fut interrogé, par à peu près tout le couloir, mais il resta cois. Il ne servait à rien de leur dévoiler des détails qu'ils découvriraient eux-mêmes, et il préférait ne pas en parler, afin de ne pas fondre en larmes.

Rentré dans sa chambre, Jean s'assit sur son lit, toujours sans rien dire. Ses camarades de chambrée le laissèrent tranquille, car on disait souvent de lui à l'internat que quand il se taisait, c'était soit qu'une inspection des dortoirs arrivait, soit que la fin du monde était proche. Ne sachant pas trancher, tous préféraient se taire.

Pendant près de deux heures, Jean resta là, dans un état quasi-végétatif, à se demander ce qu'il faisait au Collège Saint-André, ainsi que l'utilité de ses pouvoirs, entre autres. Et puis, il vit une silhouette bien connue entrer dans le dortoir. Jacques.

" Hé, salut Jean !
- Ouais…
- Ouh-là, ça va pas fort…Qu'est-ce qu'il s'est passé, pour que la moitié des flics et des pompiers de Paris campent ici ?
- Un meurtre…
- Ha. "

Un regard, et il comprit que Jean était impliqué là-dedans, quel que soit le degré de cette implication. Un deuxième regard, et Jacques comprit que son ami avait été là sur les lieux du crime. Et un troisième pour voir que ça l'avait pas mal choqué, le pauvre.

" Viens, je t'attendrai devant la salle de classe, faut que t'ailles manger un morceau, sinon tu vas faire une hypoglycémie… "

Jean se dirigea alors pour la deuxième fois de cette journée vers le réfectoire, et cette fois-ci il put y aller pour prendre un petit-déjeuner. Il choisit ce qu'il y avait de plus consistant, pour se forcer à digérer.

Pendant toute la journée, il fut carrément absent, sans réaction à quoi que ce soit. Jacques essayait de lui remonter le moral, mais ses différentes tentatives tombèrent toutes à l'eau. Surtout qu'il n'y mettait pas toujours du bon sens.

" Mais tu sais, cet été, j'ai perdu deux de mes voisins, et regarde, je m'en suis quand même sorti... ", dit-il par exemple.

Ce qui eut pour effet d'enfoncer encore plus son ami dans la dépression la plus totale. A sa décharge, Jacques n'avait qu'une vision partielle du problème de Jean. Il ne pouvait pas connaître le Pouvoir, et toutes ces choses. En pensant à cela, Jean l'envia, ce jeune surdoué qui n'avait pas d'ennuis avec le Pouvoir, des meurtriers satanistes et complètement tarés, et avec un surveillant magicien…

Après le repas, Jean réussit à surmonter sa déprime, et alla toquer chez Chris, en prenant bien soin de ne pas se faire remarquer. La porte s'ouvrit sous son coup, comme si elle n'était pas fermée. Et il vit Chris, un pauvre sourire aux lèvres, l'accueillir, en essayant d'être aussi rassurant que possible.

" Salut, Jean. Installes-toi, je t'attendais.
- Justement…
- Attends. Tu me parleras de tes états d'âme après. Nous devons reconstituer le puzzle de cette affaire.
- Mais…
- Chut ! "

Le ton de Chris était net et sans concessions. Il ne voulait pas que Jean fasse de remarques à ce moment-là. Il fallait être concentrés, tous les deux, pour arriver à voir ce qui avait pu leur échapper.

" Bien. Qu'avons-nous ? Les visions de mes collègues m'ont averties de ces possibles meurtres. Je suis venu ici, pour les empêcher. Et je suis tombé sur toi, Jean, qui manie le Pouvoir. Mais tu n'es plus le seul. Ce crime qui vient d'être commis correspond à ce qu'on m'avait prédit…Même jusqu'à la date.
- Tu connaissais la date ? Pourquoi ne m'en as-tu pas parlé ? Est-ce pour ça que tu étais soucieux ?
- Attends, Jean, ne me déconcentres pas, tu veux ? Donc, ce crime a été effectué vers six heures, selon toi. Ce qui veut dire que celui qui l'a commis s'est introduit dans le Collège, sous les yeux du CPE. Je contrôlais grâce au Pouvoir toutes les entrées dérobées, seule la grande porte ne pouvait être surveillée, il a du rentrer par là. Mais le CPE l'aurait interpellé, si ç'avait été un total étranger au Collège. Ce qui veut dire une chose : soit il est très bon et peut se rendre invisible, mais je n'y crois pas, ça aurait fait un vacarme assourdissant. Soit c'est un familier du Collège, donc un élève, un employé ou un des parents d'élèves… "

Chris avait parlé du ton monocorde de ceux qui font le point sans se soucier de leur environnement, et d'ailleurs ses yeux, qui fixaient visiblement un point situé pile en face de lui sur le mur, concordaient avec cette analyse. Jean se demanda comment comprendre ce que son mentor venait de dire.

" Heu…Qui ça peut être, alors ? "

Un long soupir de Chris tint lieu de réponse, à ce moment-là. Puis le magicien leva les yeux, un air fatigué et las au visage. Un air d'impuissance, de tristesse devant son manque de possibilités aussi.

" Je n'en sais rien, Jean. "

Ce qui eut pour effet d'effrayer encore un peu plus l'élève, qui n'était déjà pas franchement très gaillard. La situation s'empirait au fur et à mesure que les éléments se mettaient en place. Ils avaient un meurtrier, qui pouvait visiblement s'infiltrer très facilement dans le Collège, qui maniait très bien le Pouvoir, et qui avait un but précis, c'est-à-dire pas loin du pire scénario possible. Cette fois-ci, ça n'avait plus rien de ludique. Cette fois-ci, ils allaient devoir y mettre tout ce qu'ils avaient.

Sans rien dire, les deux utilisateurs du Pouvoir s'étaient compris. Chris releva un peu la tête, et poussa Jean à se lever, en lui indiquant la porte de sa chambre. Il semblait soudain avoir repris du poil de la bête.

" En tout cas, nous ne devons pas nous laisser abattre, c'est ce qu'il y aurait de pire à faire. Si nous abandonnons, personne ne sauvera les prochaines victimes. N'oublies pas cette scène de crime, Jean, sers-t'en comme d'un avertissement, ou bien comme d'une provocation, comme tu le souhaites, mais n'oublies pas cela : nos erreurs causent des morts. On vient d'en avoir l'illustration. "

Après ce petit sermon plutôt sombre, Chris raccompagna l'élève dans le couloir, avant de s'enfermer à nouveau dans sa chambre.
En revenant à l'internat, le jeune garçon traîna les pieds. Il ne voulait pas se coucher maintenant, il voulait commencer l'enquête. C'est alors que germa l'idée d'utiliser le Pouvoir dans son esprit. Après tout, si le meurtrier avait réussi à dissimuler sa présence, il le pouvait aussi !

Revenant sur ses pas, il se dirigea alors vers le bâtiment A.

Remise dans l'ordre des chapitres !